Merci François pour ces mots vivifiants !
Entretien avec François Cassingena-Trévedy, Propos recueillis par Marie-Lucile Kubacki le 23/03/2020 pour La Vie – Extraits
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Dans
des circonstances exceptionnelles, l’homme est capable, un peu
comme un animal ou une plante, de développer des capacités
d’adaptation qu’il ne se connaissait pas. C’est ainsi que
certains vont se découvrir une endurance qu’ils ne soupçonnaient
pas, une vie intérieure, une appétence culturelle, redécouvrir des
régions inédites des autres et d’eux-mêmes. Les contraintes
actuelles ne sont pas une fatalité, mais une invitation à devenir
inventifs, un matériau à travailler.
À l’intérieur de ces
règles quasi carcérales, nous pouvons développer un espace de
liberté intérieure, de poésie, d’émerveillement… « Le ciel
est, par-dessus le toit / Si bleu, si calme ! », écrit Verlaine
depuis sa prison. Il va nous falloir trouver le ciel par-dessus les
toits, en nous, en autrui, entre nous. Hors de question de céder au
catastrophisme, à la magie, de se leurrer avec des recettes miracles
(surtout pas dans le domaine religieux) : les ressources viendront de
notre propre fond. Aux heures dramatiques de l’histoire, l’homme
révèle, à côté de ses misères, ce qu’il a de plus beau, de
plus inattendu. Nous sommes renvoyés à notre dignité humaine, à
notre seule hauteur d’hommes. Cela donne des choses bouleversantes
et sublimes, comme la musique que les gens jouent sur les balcons en
Italie.
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En huis-clos, peut apparaître le risque du vide, du désespoir, de la solitude, de la nervosité exacerbée. Il est indispensable que nous puissions verbaliser, nous avouer les uns aux autres notre angoisse, que nous remplacions les paroles creuses par des paroles vitales, que nous retrouvions entre nous le goût d’une affection pleine de gravité. Il est urgent que nous trouvions, au-dedans ou au dehors, des lieux, des liens de parole tonique et profonde : le téléphone et le mail peuvent être d’excellents instruments pour ce grand emploi du temps de réconfort mutuel qui s’ouvre devant nous. Nous faire mutuellement signe de vie et de tendresse : voilà un beau métier en ces temps de retrait forcé ! Rien n’atteste mieux notre dignité humaine que le souci que nous avons les uns des autres : le confinement peut et doit décupler et affiner notre capacité relationnelle, car c’est la relation même qui nous fait hommes.
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La conjoncture actuelle peut être l’occasion de retrouver les bienfaits d’une relative ritualité que nous avions perdue – et qui pourtant nous construit – dans une société très éclatée, du zapping et du papillonnage. Car la bonne humeur a besoin d’horaire ! Ce peut être une chance que de renouer avec une vie plus communautaire et plus partagée, en apprenant à répartir les tâches, à reconfigurer les activités et les priorités. Chacun peut aussi se trouver un grand os à ronger : une lecture, une passion, une curiosité, un artisanat, un domaine de recherche intellectuelle. Il faut aussi nous confier au génie, à la grâce propre du temps, car il fait son œuvre. Le temps n’est pas seulement ce que nous faisons de lui : il nous faut accueillir son rythme et nous laisser travailler par lui, emmener par lui là où nous n’avions pas imaginé.
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L’enjeu est de dépasser les peurs archaïques, animales, et pour cela il nous faut des antidotes puissants. Des trésors d’amitié et de vérité humaine peuvent se révéler chez nos semblables. Il y a aussi la beauté, la fidélité silencieuse de la nature qui respire, tandis que l’homme s’arrête de se faire son propre bourreau. Résistons aux sirènes de l’apocalypse, gardons en nous la nappe phréatique de la paix : la beauté dont nous sommes capables est un commencement de victoire. Dieu, caché dans cette épreuve, attend de nous non des bondieuseries farfelues et affolées, mais l’accomplissement de notre devoir.
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Nous sommes convoqués à la fraternité du désert, coude à coude, cœur à cœur, pas à pas, croyants et incroyants, au seul titre de notre humanité partagée.
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Les
conséquences individuelles et collectives de ce confinement général
seront énormes. Nous vivons un basculement de civilisation. Ce qui
nous arrive n’est pas un châtiment divin, mais un avertissement
historique. Économiquement et humainement, cette crise sanitaire est
un révélateur et un accélérateur. En l’espace de 15 jours, le
paysage mondial s’est modifié de manière impressionnante. Nous
espérons ressortir de tout cela plus humains, car nous sommes bel et
bien dans l’urgence de retrouver l’essentiel. Envahis par la peur
de la mort, nous prenons conscience de notre immense fragilité,
alors que nous nous pensions surhumains, peut-être même déjà
transhumains…
Nous allons devoir réviser nos priorités, dans
le domaine de la santé, de l’écologie, de l’économie, de la
culture, du religieux même ; nous allons devoir réduire la voilure,
ou plutôt changer de voiles. La frugalité, dans tous les domaines,
sera une des données majeures du monde à venir. Nous étions
jusque-là des consommateurs de la vie : l’inouï de la vie fera
notre émerveillement et appellera nos baisers encore pleins de
larmes.